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Voici le nom : Wieringa

9782330039028.jpgC'est l'histoire d'un livre, et d'une amie attachée de presse en pleine RentréeLittéraire™. Une attachée de presse qui lit, beaucoup, et qui lit bien. Nous nous sommes vus voici quelques jours, nous avons parlé de tout, de rien, de ce Prix de la page 111 dont, honte à moi, je ne vous ai pas encore parlé… puis elle m'a présenté un livre. Son coup de cœur de ces derniers mois, me disait-elle. Voici les noms, d'un certain Tommy Wieringa.
M. me connaît, elle ne m'a presque rien dit sur le livre. Elle m'a seulement promis que l'auteur était un grand.
J'ai pris le livre. Dans le métro, en rentrant, je l'ai ouvert. Alors j'ai pris toute la mesure du défi. Non pas celui qui m'attendait, moi petit lecteur, mais le défi de l'attachée de presse...

Figure-toi un critique dont la journée ne compte que 24 heures, dont le bureau est totalement saturé de piles de livres, et qui doit déjà lire les romans des auteurs 'incontournables', de ceux qu'il aime sincèrement, des amis de son rédac'chef...
Figure-toi un peu ce tableau, donc, et maintenant mets-toi dans la peau de la grande M. dont la mission est de donner envie de lire un roman hollandais de 400 pages sur l'errance d'un groupe de migrants quelque part dans le Caucase, avec en contrepoint le quotidien désabusé du commissaire d'une ville frontière, perdue dans la steppe d'un Trukistan imaginaire.
Le tout avec un seul argument : c'est un grand auteur, et son écriture est vraiment belle.
Gageure !! L'édition est un monde de marchands, je ne l'oublie pas, mais il faut quand même une certaine dose d'idéalisme pour publier ces livres-là...

Bref ! J'ai ouvert le livre. Je m'y suis plongé. Et Il n'a pas fallu plus d'un chapitre pour que je comprenne qu'en effet l'écriture était celle d'un grand.

J'ai repensé au mot de L. de Vinci : "La simplicité est la sophistication suprême". L'écriture de Wieringa (bravo à son traducteur, au passage) est simple, précise, moins sèche que la steppe aride où les migrants tombent les uns après les autres, mais jamais ampoulée. C'est que la force d'un livre est d'abord dans l'oeil de l'auteur avant de se retrouver dans sa plume. Son oeil, sa sagesse, son intelligence, sa profondeur. Qu'on ne compte donc pas sur Wieringa pour faire de ses migrants des héros : ils ont faim, ils sont veules, ils volent ce qu'ils peuvent et restent ensemble parce que les dangers du groupe sont quand même moins grands que les dangers du monde extérieur.

... Et pour une fois, je vais me taire et laisser l'auteur se défendre tout seul.
C'est une scène parmi cent autres dans le groupe de migrants. Ou plutôt, juste en dehors du groupe : il y a là un Africain, qui fait peur à cause de sa couleur, et un grand échalas au bord de l'épuisement et que personne n'attend, parce qu'il faisait chier tout le monde.

"Silencieux, orphelin, l'Ethopien apercevait les autres, encore loin, petits et nettement circonscrits, telles des pattes de mouche sur une feuille de papier. Ils avançaient à travers la steppe. L'échalas suivit des yeux la direction pointée par l'index du Noir, mais ne vit rien. La soif écumait dans sa bouche. Il fit signe qu'il avait besoin de repos et se laissa choir sur le sol, sa main glissant sur son bâton. L'épuisement avait fait de lui un vieil homme. Il tenait ses yeux clos. S'enfoncer dans l'obscurité, derrière ses paupières ; se laisser aller, dans la béatitude, hors du monde.
Un bruit sec ; il sursauta. L'homme noir était assis, incliné en avant, une pierre à la main. Il avait écrasé un lézard. Il s'avança sur les genoux vers l'échalas et tendit le bras. L'échalas lui donna son couteau.
(...)

Deux pages plus loin, l'Ethiopien a rendu son couteau à l'échalas. Il l'a fait boire. Il lui a sauvé la vie. Et l'autre lui en veut, donc.

Sa reconnaissance éperdue avait diminué. Dans le secret de ses pensées le Noir s'était progressivement transformé en un serviteur personnel, en un esclave. Il y avait quelque injustice à ce qu'il ait gardé pour lui la dernière moitié de lézard."
Tommy Wieringa – Voici les noms, traduit du néerlandais par Bertrand Abraham

Voilà.
Je suis maladroit, mais si j'ai convaincu une seule personne de lire ce livre, je serai déjà heureux.
Comme quoi, tu vois, l'idéalisme n'est pas complètement mort.

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